publiée le 14 avril 2024 dans Gomet : https://gomet.net/tribune-franc-cfa-du-fantasme-a-la-realite-par-yves-delafon/
Entre méconnaissance, non-dits et intox idéologiques, les opinions sur le statut du Franc CFA, son rôle et sa gouvernance, abondent tant sur les réseaux sociaux, que dans la presse et par des responsables politiques français et africains, exprimées souvent pour stigmatiser l’outil, considéré comme l’instrument d’un néocolonialisme fantasmé menaçant les souverainetés nationales, et rarement pour informer véritablement et utilement.
C’est en 1945 que la France instaura, dans ses colonies africaines et aux Comores, le « Franc des Colonies d’Afrique », devenu ensuite le « Franc de la Communauté Financière Africaine » (pour les huit Etats de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA)), et « Franc de la Coopération Financière en Afrique Centrale (pour les six Etats de la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC).
A l’origine, incontestable outil de gouvernance économique et financière aux mains de la Métropole, il a profondément muté depuis les indépendances. Tant dans sa forme que sur le fond.
Rappelons que l’objectif originel était d’assurer une parité de change fixe, d’abord avec le Franc français, ensuite avec l’Euro. Dans ce cadre, le Trésor Français apportait sa garantie de convertibilité illimitée, ceci en contrepartie de la centralisation de 50 à 65% des réserves de change sur un compte d’opérations rémunéré. En échange de cette garantie, la France disposait de représentants dans les instances de gouvernance des banques centrales (de l’UEMOA et de la CEMAC), en l’occurrence au Conseil d’administration et plus tard au Comité de Politique Monétaire (la France n’étant représentée ni au Conseil des Ministres, ni à la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement des Unions respectives).
En résumé, les deux groupes d’Etats indépendants, de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique Centrale, ont décidé respectivement et souverainement de se constituer en deux unions monétaires différentes, de conserver le principe d’une monnaie commune, en conservant l’appellation de Franc CFA ayant une parité fixe et une convertibilité illimitée (avec le soutien de la France), et de confier la gestion de la politique monétaire à une institution commune à chaque union (banque centrale comparable à la BCE)ayant le pouvoir exclusif de l’émission monétaire.
Les dispositions institutionnelles en vigueur dans chacune des deux unions monétaires permettent à tout Etat signataire d’en sortir quand il le souhaite (ie. La Guinée et le Mali en 1960, Madagascar et la Mauritanie en 1973). Elles autorisent également l’adhésion de nouveaux membres (ie. Retour du Mali en 1984, entrées de la Guinée Equatoriale en 1985 et de la Guinée Bissau en 1997).
Voilà pour la réalité des faits. Sachant que les deux unions monétaires continentales connaissent des évolutions politiques, économiques, financières et règlementaires différentes (les deux « Franc CFA » ne sont pas identiques). Dans ce contexte, la contestation de leurs relations économiques et monétaires avec la France s’est considérablement amplifiée, en particulier dans certains Etats de l’UEMOA (dont et surtout le Mali, le Niger et le Burkina Faso), largement alimentée par des oppositions politiques, la désinformation Russe et l’activisme ambiant impactant une grande partie de la jeunesse.
Pour tenir compte des critiques croissantes sur le rôle supposé de la France, et de la nécessité de clarifier des relations incomprises ou/et instrumentalisées, un nouvel accord est conclu le 21 décembre 2019 entre les huit Etats membres de l’UEMOA et la France.
La réforme de la coopération monétaire en 2019 au sein de l’UEMOA s’articule autour de quatre axes :
- Le changement du nom de la devise commune qui doit devenir l’« ECO ». Ce choix et sa mise en place étant du ressort exclusif des Etats de l’UEMOA. Sachant que la CEDEAO (15 Etats) a déclaré (Sommet de juin 2021) vouloir en faire, à terme, sa monnaie commune.
- La suppression de l’obligation de centraliser des réserves de change auprès du Trésor français. En 2021, ce dernier a mis à disposition cinq milliards d’euros (3 280 milliards de Fcfa) à la BCEAO (Banque Centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest), libre du placement de l’intégralité de ses réserves où elle le désire à travers le Monde.
- Le retrait de la France des instances de gouvernance de la zone monétaire (Conseil d’Administration et Comité de politique monétaire de la BCEAO)
- La mise en place d’un mécanisme de dialogue et de suivi des risques susceptibles d’engager la garantie de change de la France.
En attendant une semblable volonté des Etats d’Afrique Centrale, que reste-t-il aujourd’hui du FCFA/ECO dans la zone UEMOA ?
Essentiellement une monnaie commune appartenant aux Etats de la zone, avec un taux et une convertibilité garantis par la France (sans réelle contrepartie contraignante). Son arrimage à une monnaie forte (euro) garantissant la stabilité monétaire et facilitant les importations (qui représentent plus de 50% des échanges de l’UEMOA avec le reste du monde), mais susceptible d’affecter la compétitivité de ses exportations (bien qu’elles concernent essentiellement des matières premières dont les cours sont en monnaies fortes et fixés par les marchés internationaux).
Le débat reste ouvert quant aux conséquences d’un retour à une parité libre ou partiellement indexée mais volatiles, ou encore liées à l’éventuel abandon d’une monnaie commune. Ces choix difficiles et complexes sont les uniques véritables enjeux du débat sur le FCFA. Ils sont entre les mains, exclusivement, des gouvernements des Etats membres de l’UEMOA (comme de la CEMAC). C’est d’ailleurs une préoccupation affirmée du nouveau ministre de l’Economie sénégalais, Abdourahamane Sarr. Etant entendu que les dirigeants africains affirment par ailleurs la nécessité d’aller vers plus d’intégration régionale (voire continentale), et qu’une monnaie commune est une condition nécessaire pour approcher cet objectif.
Il est difficile d’identifier les intérêts que la France a à maintenir l’Accord de coopération portant garantie de change du FCFA
Qu’en est-il du rôle et des intérêts de la France ?
Son rôle se limite maintenant à apporter à l’UEMOA une garantie de change fixe et illimitée au FCFA. Une garantie financière sans contrepartie et dont il est difficile d’identifier les intérêts pour l’Hexagone. La parité fixe limite marginalement les risques pour les entreprises africaines et européennes (dont françaises) travaillant en euro, mais il faut savoir que ces dernières les maîtrisent par ailleurs dans leurs échanges en devises. Sachant en outre que la France représente moins de 10% du total des échanges de la zone UEMOA, et que ses principaux clients en Afrique sont hors zones CFA, et dans l’ordre : le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, le Nigéria, l’Angola et l’Afrique du Sud,…, tous ayant des monnaies peu, voire non convertibles imposant de disposer préalablement de réserves de changes pour financer leurs importations.
La France n’a plus aucun rôle dans l’UEMOA, ni dans la définition, ni dans la conduite de la politique monétaire que la Côte d’Ivoire, le Niger, le Burkina Faso, le Mali, le Togo, le Bénin, la Guinée Bissau et le Sénégal ont confié à une Institution communautaire indépendante. Le manque d’explications claires dans ce domaine, tant en France qu’en Afrique, ne peut se comprendre qu’avec les prismes de l’ignorance, de la nostalgie, de l’émotion ou de l’idéologie.
La question du lieu de fabrication physique des signes monétaires du FCFA est un sujet idéologique (vestige symbolique de la « Françafrique »), mais un non-sujet économique qui obéit à des considérations financières et de sécurité. L’euro est fabriqué dans onze pays différents. L’UEMOA (comme la CEMAC) continuera à les faire fabriquer à l’étranger tant qu’il n’existe pas d’imprimerie spécialisée dans sa zone. C’est un choix souverain.
Une autre relation Afrique/Europe reste à écrire, et ce projet nous interdit, pour les uns de rester les bras croisés dans des certitudes arrogantes, pour les autres de camper sur les barricades d’un ressentiment qui ne peut bénéficier qu’aux extrêmes.
Les relations entre l’Afrique et l’Europe, et la France en particulier, connaissent une mutation, une remise en cause, profonde. Elles vivent « La fin d’une histoire » comme l’a écrit Cheikh Tidiane Dieye, le nouveau ministre de l’hydraulique et de l’assainissement du Sénégal. Ce n’est pas la fin de l’Histoire, et une autre relation reste à écrire. Ce projet nous interdit, pour les uns de rester les bras croisés dans des certitudes arrogantes, pour les autres de camper sur les barricades d’un ressentiment qui ne peut bénéficier qu’aux extrêmes.
Un avenir commun est possible, justifié par la proximité, les cultures partagées et l’Histoire, et rendu nécessaire face au risque d’une bipolarisation dangereuse autant que stérilisante qui se met en placeentre la Chine et les Etats Unis.
Et cela ne pourra se faire que si nous sommes pragmatiques et réalistes, honnêtes et respectueux, mettant en avant le mérite et l’efficience plutôt que le nationalisme ou le communautarisme.
Yves Delafon
Administrateur et membre du board de la
Banque pour le commerce et l’industrie basée en Mauritanie
Président d’honneur d’Africalink